Introduction

Dans le monde très particulier des “Métiers de Projets “(Construction & Infrastructure, Electricité & Energies Renouvelables, Pétrole & Gaz, Traitement des eaux, dessalement etc) réfléchissons sur comment négocier les conditions de paiement. Le “Project Business” est connu pour ses opportunités d’affaires moins récurrentes, ses contrats non standardisés – durement négociés – et un environnement d’exécution bien complexe (EPC, Design-Build, fourniture et installation d’équipements sur mesure, etc).

Point de départ pour négocier les conditions de paiement

Lorsque vient le temps de négocier des conditions de paiement, le point de départ habituel est que le Client dise : “Nous sommes prêts à vous verser une avance, mais après nous vous paierons lorsque le projet sera terminé”.

En tant que négociateur principal, que devriez-vous faire ensuite ?

  • Retourner voir votre direction pour demander si elle peut l’accepter ?
  • Balancer tous vos arguments au Client ?
  • En faire un cas de rupture et quitter temporairement la négociation pour faire pression ?

En fait, vous ne devriez même pas réfléchir à ce qu’il faudra faire ensuite! Vous devriez déjà être prêt pour affronter cette situation ! Il s’agit d’un sujet de négociation typique et le point de vue du Client est un grand classique.

Nous allons diviser notre analyse en trois étapes “1. Préparer”, “2. Agir” et “3. Conclure”. Nous ferons cet exercice du point de vue d’un équipementier spécialisé. Les arguments peuvent être adaptés à d’autres circonstances – comme pour un entrepreneur civil – mais il est important de comprendre qu’il n’y a pas de “solution passe-partout”. Chaque cas de négociation est différent ; c’est ce qui rend la négociation amusante, en fait.

1. Préparer

1.1 À quoi se préparer ?

Vous allez probablement préparer les arguments favorables à votre cas pour négocier les conditions de paiement. Par contre, nous oublions souvent de nous préparer à ce que nous allons demander au Client. Nous allons devoir poser des questions ouvertes pour permettre au Client d’exprimer son intérêt (au-delà de ses positions). Non seulement les intérêts, mais aussi ses craintes. Préparez également des questions qui aideront à faire prendre en compte vos intérêts et ceux du projet.

Quelques exemples de questions exploratoires :

  • Pourquoi est-il important pour vous de ne payer qu’à la fin du projet ?
  • Quelles sont les mauvaises expériences que vous avez vécues en payant les jalons d’avancement ?
  • Qu’est-ce que vous essayez de faire en gardant l’argent hors de la portée de l’entrepreneur ?
  • Comment, à votre avis, l’entrepreneur principal devrait-il se comporter pour les paiements à ses fournisseurs et sous-traitants?

Si vous posez ces questions au bon moment et sur le bon ton, elles révéleront les pensées, les émotions et les craintes du Client. Vous pourrez vérifier les hypothèses que vous avez établies au cours de la préparation et recueillir autant d’informations que possible.

1.2 Contexte

Vous avez besoin de bien articuler votre contexte et aussi LEUR contexte. Pour notre cas pratique :

  • Le Client est une SPC (Special Purpose Company) qui s’appuie sur un financement de projet. Votre contrat sera entièrement payé à partir d’un prêt avec un engagement à l’avance. La façon dont le prêt sera déboursé doit encore être établie. Négocier les conditions de paiement avec chaque entrepreneur représente un facteur important à cet égard. Les prêts décaissés entraîneront un coût “IDC” plus élevé pour le Client (IDC = intérêts durant la construction).
  • Les temps sont durs pour les entrepreneurs, surtout quand il s’agit de liquidités. Depuis la dernière crise financière, les entrepreneurs se démènent pour négocier des conditions de paiement neutres sur le plan des liquidités (ou même sur le plan de l’exposition). Cela permettra à l’entrepreneur de financer automatiquement ses activités opérationnelles courantes sans devoir faire appel aux banques.

Typiquement, il y aura plus d’aspects contextuels. Mais, pour cet exemple de comment négocier les conditions de paiement, j’aimerais que cela reste assez simple. Si cela est possible dans un environnement de Projets Complexes….

1.3 Audit d’auto-accusation

??? Qu’est-ce qu’un audit d’auto-accusation?

C’est un exercice où, lors de la préparation d’une négociation, vous vous mettez dans la position du Client. Vous devez penser à toutes les objections et accusations que le Client pourrait typiquement formuler à l’encontre de l’Entrepreneur. Et vous devez les exprimer.

Vous utiliserez ceci pour l’énoncer vous-même durant la négociation des conditions de paiement. Vous préempterez ainsi toute accusation au cours de la négociation. Contre-intuitif mais très puissant.

Rappelez-vous: Quand vous avez voulu revenir au “mode communication”, après une discussion avec votre petit(e) ami(e), vous avez probablement dit : “J’ai été un(e) idiot(e). Peut-être qu’on peut en parler.”

Maintenant, essayez d’appliquer cela aussi à la négociation de projets complexes avec des phrases comme celles-ci :

  • “Les Entrepreneurs pensent d’abord à obtenir le paiement de leur Client et seulement ensuite à faire leur travail.”
  • “Des Entrepreneurs qui ont déjà été payés ne terminent pas toujours les travaux jusqu’à la fin.”
  • “L’argent, c’est votre pouvoir ; si vous le donnez à l’Entrepreneur, vous serez peut-être entièrement entre ses mains avec encore des travaux à finaliser.”

Ces exemples correspondent clairement aux craintes typiques des Project Managers chez les Clients. Ces craintes peuvent même provenir de problèmes antérieurs sans aucun rapport avec votre situation, jusqu’à dans leur propre maison avec leur plombier. Je parie qu’ils n’avaient pas le même arsenal juridique avec leur plombier, aucune garantie bancaire etc.

2. Agir

2.1 L’intro

Habituellement, les gens sont sur-préparés pour présenter leur propre cas. Impossible de se reposer l’esprit avant de mettre tous leurs arguments sur la table. De plus, idéalement en un temps, sans dialogue et sans tenir compte de ce que pense l’autre personne. Ne soyez pas comme ça ! Attendez calmement que le Client expose son point de vue. De plus, maintenez le flux des révélations grâce aux techniques du miroir et d’étiquetage.

La technique du miroir consiste à répéter les 3 mots les plus critiques de ce que vient de dire votre Client. Par exemple, lorsque le Client dit “Nous voulons garder le contrôle sur vous en retardant les paiements”, vous pouvez dire “hum, garder le contrôle” et faire une pause. Le Client reprendra automatiquement son exposé et développera davantage car il se sent en contrôle et que vous l’écoutez vraiment!

L’étiquetage est une technique de validation des émotions de l’autre partie:

  • “Il semble que vous teniez beaucoup à contrôler l’Entrepreneur.”
  • “On dirait que vous avez déjà eu de mauvaises expériences avec des entrepreneurs.”
  • “Il semblerait que, pour vous, nous soyons un grand et puissant entrepreneur avec beaucoup de ressources.”

Votre voix et votre langage corporel sont particulièrement importants dans cette situation. Vous ne pouvez pas donner l’impression d’être sarcastique. Vous ne pouvez pas manquer de respect ni mépriser leurs arguments.

Ne vous laissez pas inspirer par un débat politique. Rappelez-vous que les débatteurs n’essaient pas de convaincre l’autre partie. Ils préfèrent continuer à s’opposer l’un à l’autre et, en parallèle, essayent de vous mettre de leur côté.

2.2 Une analogie lors de la négociation des modalités de paiement

Il est parfois bon de construire une analogie.

La question calibrée – Comment pensez-vous que l’Entrepreneur devrait payer ses fournisseurs et sous-traitants ? – a justement cet objectif. Elle déclenchera un processus de réflexion chez le Client, qui réfléchira alors à votre situation, à votre place. Comme l’explique Daniel Kahneman dans son livre “Thinking, fast and slow”, il passera d’une réflexion instinctive et émotionnelle (“système 1”) à une réflexion plus lente, plus délibérative et plus logique (“système 2”).

Il peut ainsi se rendre compte que payer tardivement les fournisseurs et les sous-traitants place l’Entrepreneur ET le Projet dans une situation difficile : les fournisseurs ne livrent pas, les sous-traitants ne donnent aucune priorité au projet, etc.

2.3 Atteindre l’empathie (tactique)

Toutes ces actions ont pour but de passer, grâce à l’empathie, d’une situation d’opposition à une attitude de collaboration. Ce n’est qu’une fois que vous avez acquis cela, que vous pouvez vraiment commencer à travailler pour obtenir des choses utiles pour vous.

3. Conclure

3.1 Commencez parfois par un “Non”.

Vous pouvez envisager d’utiliser une question-appelant-un-non pour briser la glace : “Je suppose que vous ne pouvez pas me payer la totalité du prix à l’avance, n’est-ce pas ?” Vous obtiendrez un “non!” directement.

L’expérience et les études montrent que les gens – en raison d’une surexposition aux questions-appelant-un-oui – sont sur la défensive dès qu’on leur pose une question à laquelle ils sont obligés de répondre “oui…”.

De l’autre côté, les questions-appelant-un-non leur donnent le sentiment de pouvoir et les rendent plus détendus, plus ouverts, plus à l’écoute.

Vous pouvez maintenant venir avec l’étiquette que vous avez préparée à l’avance : “Vous nous considérerez peut-être comme un grand et puissant entrepreneur avec beaucoup de ressources.” Et commencez à retourner la situation.

3.2 Le retournement de la situation

Ils hochent peut-être la tête en signe de “non”. Ils peuvent aussi simplement dire: “oui, nous vous considérons pour ce projet parce que vous êtes un Entrepreneur solide”.

Alors allez-y :

“Mais, imaginez qu’on fasse cela – accepter de mauvaises conditions de paiement – sur tous nos projets. Nous pré-finançons alors tous les projets auxquels nous participons.

  • Quel effet cela aura-t-il sur le cours de notre action ?
  • Combien de temps resterons-nous une entreprise saine ?

Nous deviendrons bientôt une entreprise faible et assoiffée de liquidités. Les taux d’intérêt que nous devrons payer sur tous ces prêts augmenteront. Finalement, plus personne ne voudra nous prêter.

Dans ce projet, vous avez déjà le financement. Pourquoi alors devons-nous re-financer durant la phase de construction? N’y a-t-il pas un autre moyen pour vous de contrôler l’Entrepreneur ?”

Maintenant que

  • vous avez montré que vous comprenez d’où ils viennent (leurs intérêts) et
  • ils comprennent votre situation,

… finalement… vous pouvez apporter vos arguments !

3.3 Venez avec les arguments

Vous pouvez rappeler que les garanties bancaires – telle que la garantie de bonne exécution – sont là pour vous obliger à exécuter le contrat jusqu’à la fin.

Souvent, les Clients (trop) défensifs demandent des montants de cautionnement élevés combiné avec des conditions de paiement misérables. Ils veulent “ceinture et bretelles”. Si cela n’est pas le cas, vous pouvez accepter une augmentation du montant de la garantie de bonne exécution contre des modalités de paiement plus favorables.

Pour les Clients moins modérés, vous aller utiliser une autre question calibrée :

“Qu’est-ce que vous essayez de faire en gardant l’argent hors des mains de l’Entrepreneur ? Je comprends que cela vous donne le contrôle.

Mais imaginez-vous les effets négatifs pour le chargé d’affaire de l’Entrepreneur ? Il ou elle devra améliorer sa trésorerie en passant les commandes aussi tard que possible, en retardant les paiements aux sous-traitants, etc. Ainsi, on consommera toute la marge (le “float”) du projet pour tenter de rendre le “cash flow” raisonnable. Et, nous savons tous comment cette histoire se termine… Des retards dans la réalisation du projet et des conflits.”

Ensuite, vous revenez avec les paiements progressifs :

  • Jalons liés au design ;
  • Jalons liés aux achats des matières premières ;
  • Jalons liés aux commandes de sous-composants etc.

3.4 Négocier les conditions de paiement = être patient

Lors des négociations de projets complexes, se mettre d’accord sur les conditions de paiement prendra beaucoup de temps. C’est souvent un des premiers sujets à aborder. Et le sujet reste ouvert jusqu’à la fin. Soyez patients !

Pivotez sur d’autres sujets lorsque la discussion devient trop animée. Et aussi si les parties ne font plus que répéter leurs positions. Et suivez la feuille de route ci-dessus plusieurs fois au cours de séances de négociation consécutives. Seulement petit à petit, vous pouvez faire passer quelqu’un d’une position de tout-payer-à-la-fin à une acceptation de payer de façon progressive.

Conclusion

La négociation de jalons intermédiaires n’est pas facile, mais essentiel pour les entrepreneurs. Ne faites pas des conditions de paiement un obstacle à la conclusion du marché (“dealbreaker”). N’affrontez pas les positions de l’autre. Ne lancez pas vos arguments avant d’écouter attentivement les préoccupations de l’autre partie. Malheureusement, c’est ce qui arrive trop souvent.

Vous devriez plutôt suivre une feuille de route, préparée avec soin, en commençant par l’écoute et en utilisant les techniques de “miroirs” et “étiquettes” et “les questions calibrées”. Visez l’empathie [tactique] et transformez ensuite leur réalité.

Tout cela exige beaucoup de patience et des compétences que la plupart des négociateurs n’ont pas encore. Vous avez besoin de pratiquer, de devenir conscient de vous-même, de recevoir des formation ou d’obtenir un “coaching”. Nous espérons que ce qui précède vous a été utile à cet égard et nous continuerons à vous soutenir.

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4 commentaires

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